Le Barde Lors Jouin - Chansons de la Bretagne éternelle d'hier et de toujours pour maintenant par rapport à demain - Keltia
Je vous l'avais dit que je reparlerais de Lors Jouin, personnalité atypique, pour euphémiser et que je tiens pour une sorte de génie. Chanteur de grande qualité, excellent bretonnant, c'est aussi un acteur qui a oeuvré dans des spectacles mythiques (que je n'ai hélas pas vus, comme L'Emir de Langoëlan, ou l'opéra Le Retour du Kaolmoc'h). Il possède d'ailleurs une ressemblance frappante avec un acteur disparu, mais je n'en dirais pas plus, réservant ceci à la page Les sosies du trad).
J'ai eu la chance, dans le cadre de mon boulot de l'époque, d'assister à la première du spectacle, en 2005 au théâtre de Cornouaille, dont cet album est issu. J'ai énormément ri, c'est même sûrement un des spectacles qui m'a le plus fait rire. Lors Jouin prête ici son physique au personnage du Barde, personnage tonitruant, revêtu du costume breton d'opérette qu'on lui voit sur la pochette, avec cet indispensable bragoù braz si prisé par les bardes folkloristes du siècle dernier. Il est accompagné par l'accordéoniste Robert Kervran à l'accordéon midi, profitant de toutes les possibilités musicalo-farcesques de l'instrument.
Toutes les chansons "bretonnes" sont en français, mais comme il ne sera pas laissé dire aux teodoù fall (les mauvaises langues) que le barde ne sait pas le breton, on peut néanmoins entendre la version bretonne, avec incrustation de chinoiseries à l'accordéon, de Rikita.
Tout ça est méchamment drôle, provoquant ce rire franc et subversif, fondé sur un humour à tiroirs, un humour à trois dimensions. On peut évidemment rire de ces chansons d'hier (mais de toujours par rapport à demain) et de leur alignement de clichés . Il est de bon ton chez le militant breton de, au mieux, railler Botrel, quand il n'est pas considéré comme britto-traître infâmant souffrant du syndrôme bécassine. Et pourtant, pour l'observateur attentif, la militance identitaire d'aujourd'hui est-elle même porteuse de clichés et d'éléments d'un folklorisme assez cocasse (je pense par exemple au nationalisme breton ouvert sur le monde qui égale en puissance comique les valeurs universelles françaises de lutte pour les Droits de l'Homme). Et puis, dans la liste des morceaux, il y a quand même l'incroyable En Avant les Bretons, composée par Olivier Mordelle, dit Olier Mordel, membre du Parti Autonomiste Breton (puis cofondateur du Parti National Breton, de triste mémoire), proche des Seizh Breur et cofondateur avec Roparz Hemon de la revue Gwalarn. Si on écoute les paroles, c'est bien pire que Bécassine. Dans le spectacle, une projection de manchots (cet oiseau gwenn ha du) illustre la chanson. On appréciera la symbolique.
Parce que derrière le rire, il y a quand même matière à s'interroger. Des chansons comme C'est Rostrenen qui chante sont encore chantées dans des clubs du 3e âge par des gens qui sont issus du monde qui a porté quasi à lui seul la culture de langue bretonne. Le besoin identitaire n'est pas seulement nationaliste, racial. Mais il nous pousse souvent à nous identifier par le rejet d'un autre qui nous semble contraire.
L'interprétation de Lors est drôle parce qu'il manie la caricature avec subtilité, avec causticité et en même temps 
tendresse. Que ce soit dans les chansons exhalant la bruyère de la lande bretonne (Je te retrouverai), dans les chansons grivoises (La Brune de Langoelan, Petit Pierre) ou les chansons patriotiques (Ah ! Ce Général de Gaulle!). Taquin, il nous glisse une chanson socialiste, Jean-Pierre le Charron (La Médaille en Argent, colonne de droite de cette une http://collections.b...15288/PAGE0_PDF), pas si anodine, il suffit de se remémorer le mouvement de Bonnets Rouges.
C'est un de mes albums de chevets, et un certain nombre de ces chansons sont venues grossir mon répertoire.
Je vous propose d'écouter la Marche de l'épagneul breton, une chanson composée par un vétérinaire de Callac, dont j'ai oublié le nom, mais que certains me rappelleront peut-être, qui avait le sens de la farce. Elle fut d'abord enregistré sur un 45 tours par un accordéoniste du coin, dont j'ai aussi oublié le nom, décidément je me fais vieux, en marche sur la face A (la marche de l'épagneul breton) et en madison sur la face B (le madison de l'épagneul breton).
https://youtu.be/DHV9LTCoSO8