Ça me rappelle il y a quelques années, quand je m'étais permis de corriger le tout jeune Tirno d'alors : tu déplorais je crois le petit niveau de certains danseurs en bal, leur manque de références et de curiosité pour leur pratique (indépendamment de l'aspect social du bal, et tu t'en servais pour établir la limite entre le XXX et le YYY). J'avais précisé que le problème n'était pas le niveau en soit, nous sommes tous en apprentissage, et souvent pour de nombreuses années (sans aller jusqu'à dire qu'il faut toute la vie : ce n'est pas faux, mais on a le droit d'approximer une asymptote !), mais bien le manque de volonté à s'informer. La faute aux animateurs à mon avis, parce qu'au niveau musique, on en a vraiment pour tous les styles et pour toutes les expressions (pour peu d'être un minimum mobile, il est vrai).
Effectivement, je m'en souviens. Je me suis justement dit cet été que ma copie était un peu à revoir.
Je parlais des danseurs à Gennetines et je trouvais que la grande majorité dansaient pas très bien, que ce soit sur le plan de l'expression personnelle ou sur le plan de l'expression stylistique des danses de terroir. Parmi les "bons danseurs" (ceux qui ont appris à Gennetines, pas ceux qui savaient déjà avant d'y mettre les pieds) je trouvais que beaucoup récitaient leur leçon sur les danses "trad" - avec grace, mais aussi avec sur-perfectionnisme. Je pense que le manque d'expression personnelle sur une forme "trad" la fige et en fait une pièce de musée. Evidemment, il y a aussi un grand nombre de gens qui savaient danser bien avant d'arriver à Gennetines et eux ont "tout".
Cet été à St Gervais, mes yeux un peu affinés ont décelé plus d'expression personnelle - et aussi ont vu des gens discrets, mais très beaux danseurs.
Niveau danse de couple par contre... Loin de moi l'idée de proner la technique avant tout, mais c'est sur qu'avec moins de technique de danse, y'aura moins de créativité et moins d'expression construite par les deux partenaires. (Evidemment si c'est pas ça qu'on recherche, c'est pas bien grave). Coté positif, y'a quand même des danseurs et danseuses incroyables. Et la musicalité et la qualité d'écoute moyenne sont bien supérieurs à ce qu'on trouve chez les danseurs "à armes techniques égales" dans le rock, le lindy ou le tango.
Côté raisons... manque de bons exemples (les excellents danseurs dansent beaucoup avec leurs amis - comme tous les danseurs - ça aide pas à se rendre compte que c'est à la fois agréable et accessible - bref que ça vaut la peine de chercher à faire pareil). Manque de côté assumé - chercher l'excellence en danse se fait difficilement "chez soi" comme on peut le faire pour l'excellence en musique - donc il faut souvent le faire en bal, en public. L'enseignement est nivellé par le bas, puisque tout le monde se pointe à tous les cours. Sauf les bons danseurs, qui n'ont pas beaucoup d'opportunités d'améliorer leur pratique. Sans oublier le niveau de ce qui est donné par les animateurs qui ne donnent pas plus, puisque le public qui ne demande pas plus.
(A ce sujet, j'ai décidé d'assumer et je propose des cours particuliers - je sais pas si quelqu'un jugera jamais utile d'en prendre, mais l'option est là
)
(L'excellence de détaillage technique de mes profs de blues, de tango, de lindy est incroyable - passer 4 jours à comprendre comment fonctionne le bassin ou le lien meneur-mené et on se rend compte qu'on pourrait y passer sa vie)
À moins d'avoir une sacrée mémoire, je ne crois pas qu'on puisse "apprendre un jour pour toujours" un style. Les règles des sports ne changent pas trop et sont très simples à mémoriser, mais un style en danse ? C'est autrement plus complexe et subtil, autrement plus influençable (métissage !).
Ce qui cadre aussi le style c'est ça parfaite adéquation avec la musique. C'est comme trouver la bonne pièce du puzzle parce qu'elle colle avec l'autre - une fois qu'on l'a trouvée, on la retrouve facilement.
D'ailleurs, je trouve que dans une certaine mesure, la notion d'"adéquation avec la musique" est universelle. La sensation d'adéquation avec la musique quand je rapproche mes modèles bourrée 3t est identique à ma sensation d'adéquation avec la musique quand je rapproche mes modèles de branle béarnais.
C'est comme quand on a entendu la justesse de deux violons accordés ou qu'on a entendu les harmoniques en chant diphonique - la fréquence de vibration et la sensation associés permettent de retrouver plus facilement.
Et cette adéquation avec la musique doit rester, aussi quand il y a du métissage.
À plusieurs reprises on m'a dit par exemple "Pourquoi vas-tu à cet atelier ? C'est bon, on t'a vu, tu sais danser...". Et bien non, sans ces vaccins qui remplacent en partie une pratique collective plus largement partagée (qui n'existe pas), les styles risqueraient de se fondre ou d'être altérés (plus qu'ils ne le sont déjà du fait de ma personnalité et de mon parcours).
Je reconnais aussi cette idée de piqure de rappel de vaccin. Pareil pour moi.
- est-ce que c'est grave Docteur si les styles qu'on a appris un jour se retrouvent altérés deux ans plus tard ? Je crois que ça dépend de ce qu'on recherche dans la pratique. Pourquoi est-ce qu'on a eu envie de faire "comme" les autres au début, et qu'à un moment, on n'a plus eu envie de faire comme eux ? Pourquoi on a eu envie d'apprendre une manière de danser sur un type de musique, éventuellement avec un style individuel ou synthétisé à partir de plusieurs témoignages, et un jour, on n'en a plus eu envie, mais plutôt de s'affranchir du cadre et de s'exprimer sans plus trop de référence ? Quelle est le lien entre pratique collective et expression individuelle ? Pourquoi parler d'ornementation individuelle et pas d'improvisation individuelle comme dans d'autres sphères ?
Si on a ressenti cette vibration avec la musique, je pense qu'altérer mais rester en musique ça peut marcher.
Mais au tout début, on peut croire etre en vibration et ne pas l'être. Ou on peut se rendre compte qu'on est incapables de reproduire une certaine cadence ou dynamique. Trouver du mouvement inconnu et affiner la sensation de vibration est toujours utile.
- est-ce que cette possibilité de retour aux modèles périodique va survivre aux passeurs actuels ? Grosse angoisse ! Il y a des archives vidéos qui je l'espère vont être commentées par ceux qui le peuvent, et il y a de jeunes passeurs qui se forment. J'espère qu'ils produiront un vaccin efficace contre un trop grand métissage. C'est à dire que comme actuellement, nous ne craindrons pas de faire des expériences avec d'autres styles, parce que nous saurons que si nous le voulons, nous pourrons retourner au corpus.
Bien dit. Plus on a une qualité et quantité de passeurs (au sens de personnes à qui on peut se référer comme modèle, car ils ont tellement bien intégré une danse qu'ils sont incapables de "ne pas la danser") et une compréhension des collectages, plus on va être libres de s'en éloigner. Je me demande s'il y a des répertoires "en danger"... Certainement les styles régionaux sur les danses de couple (pour autant que y'en aient avec un intéret et particularité certains). Et peut etre certaines danses régionales genre Sautière et ronde du Quercy. Pour le Rigodon... est-ce trop tard?