Hé hé... gros débat en effet... qui ne date pas d'aujourd'hui...
Recontextualiser aide à comprendre. Pour schématiser et pour aller vite, historiquement il s'est passé ça en France :
1. jusqu'en 1914, le diato domine. Pas de pouce.
2. dans les années 20/30, la mode est au chroma ; beaucoup de joueurs de chroma sont au départ des joueurs de diato. La question du pouce ne se pose pas encore : comme au diato, on ne l'utilise pas. Toutefois, quelques grands accordéonistes ayant souvent un pied dans la musique classique ou concertante, comme Médard Ferrero, commencent à utiliser de façon sporadique le pouce dans certains passages virtuoses.
3. Fin des années 30 : Gus Viseur et Tony Murena commencent à jouer le swing à l'accordéon (en copiant ce qui se fait depuis déjà quelques années aux Etats-Unis) et composent des valses musette avec des couleurs swing (le « swing musette »). C'est la naissance d'un nouveau répertoire, dans l'ensemble plus virtuose que ce qui se faisait avant, plus technique, avec un phrasé plus lié par opposition au phrasé détaché en vogue dans les années précédentes. Beaucoup de traits musicaux compliqués, pour être joués avec le phrasé lié, nécessitent l'utilisation du pouce : Viseur et Muréna développent son utilisation.
4. Fin des années 40 : une querelle éclate en France pour savoir si oui ou non l'accordéon est un instrument pouvant être enseigné au conservatoire. Pour démontrer que l'accordéon y a toute sa place, certains accordéonistes rivalisent de technique en jouant des pièces contemporaines composées pour l'instrument ou en adaptant des pièces classiques difficiles nécessitant l'utilisation du pouce, dans la mouvance de ce qui se fait depuis déjà quelques années en Russie, où l'accordéon a très tôt été utilisé pour jouer de la musique classique.
Progressivement, dans les décennies qui suivent, les enseignants d'accordéon n'utilisant pas le pouce deviennent de moins en moins nombreux. Et comme la pratique de l'accordéon en autodidacte disparaît également petit à petit, on en arrive à cette situation : quasiment tous les accordéonistes chroma apprennent à jouer aujourd'hui avec le pouce. C'est aussi lié à l'image du chroma et, j'ai envie de dire, à la sociologie du milieu du chroma : la pratique du concours et / ou le plaisir de la frime restent bien ancrés chez les joueurs de chroma, et qui dit concours et / ou frime dit répertoire virtuose et technique. Impensable de jouer ce répertoire sans le pouce !
L'utilisation du pouce est donc étroitement liée au répertoire et au phrasé. Si elle est complètement justifiée dans certains répertoires comme le jazz, le swing musette ou le classique, elle l'est beaucoup moins dans d'autres, comme la musique d'Auvergne ou le musette des années 20/30 où le phrasé est en grande majorité détaché et où la virtuosité n'est pas essentielle contrairement aux contraintes de la cadence... et de la danse. Ne pas oublier également que le style au chroma des années 20/30, que ce soit en musette ou en musique d'Auvergne, est très étroitement lié à la situation de jeu en acoustique : il n'y avait pas de micro et il fallait jouer fort. Bref, pour aller chercher un important volume sonore et pour avoir un phrasé détaché et dynamique, la position du pouce sur la tranche en permanence, à mon avis, aide bien.
Donc en résumé, pouce ou pas pouce ? Réponse : ça dépend de ce qu'on veut jouer !