A "Bens" :
"est un peu con " ??!! Ah non, c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire, oh Dieu ! bien des choses en somme....
Quelques arguments, peut-être ? Un embryon de pensée ?
Récapitulons un peu, si l'on veut bien.
Nous parlons donc d'un homme sans qui les bals folks desquels nous nous délectons tous n'existeraient pas ou pas ainsi, car c'est tout de même lui qui les a lancés le premier au Bourdon au début des années 1970, qui a proposé et diffusé la version du cercle circassien (qui n'en est pas un d'ailleurs, mais seulement une partie de la danse originelle) qui se danse partout maintenant, à qui tous ceux qui font de la danse trad doivent tant, et bien plus encore que ce que sa discrétion et son désintéressement ne leur permettent d'imaginer.
Soit dit en passant, discrétion qui n'apparaît guère néanmoins tant l'homme est brillant. Mais il ne va quand même pas s'amputer de sa culture et de son intelligence pour plaire à moins agile et moins lettré que lui.
Un homme dont les collectes de ses parents et les siennes propres, dont le travail de chercheur, de danseur, de chorégraphe, de chanteur, de compositeur alimente et nourrit tous les bals folks et les fest-noz qui se tiennent en France et en Europe dans une proportion que la plupart des danseurs ignore, tant il a toujours consacré bien plus d'énergie à savoir, à comprendre et à créer qu'à le faire savoir, à se soucier de son image et de sa renommée et à monnayer le fruit de ses multiples talents. On lui doit par exemple une grande partie des mixers qui tournent partout, des bourrées, donc, et pas que celle en question, très loin de là, des contredanses, etc...
Nous parlons donc d'un polyglotte qui maîtrise au moins six langues, la plupart avec une perfection confondante.
D'un agrégé (et qui ne fut pas reçu dans les derniers - euphémisme) professeur en classes prépa, même s'il ne l'affiche jamais, n'en tire nulle vanité et qu'il faut bien chercher pour le trouver.
D'un docteur en ethnologie auteur d'une thèse essentielle pour le monde de la danse traditionnelle.
D'un homme d'une humilité devant le savoir (mais pas devant ceux qui l'ignorent), d'une rigueur et d'une honnêteté intellectuelle édifiantes.
D'un compositeur, chanteur, chorégraphe, danseur virtuose, ... (liste non exhaustive)
D'un pédagogue dont la bienveillance et l'humour n'altèrent pas l'exigence.
D'un écrivain magistral au style aussi éblouissant que sa danse.
D'un érudit dont la culture classique lui permet, entre autres, de citer des centaines d'alexandrins de mémoire sans l'ombre d'une hésitation.
D'un orateur si impressionnant qu'il faudrait être une bûche pour résister à son humour et à son éloquence.
Et j'en oublie...
Si vous faites mieux, chapeau bas, on remballe son grand nez dans sa grande cape, et on déguerpit.
Cela ressemble à un panégyrique sans nuance, mais même les superlatifs demeurent objectifs dans ce cas.
Par exemple, si l'on dit : "Mozart est un génie", c'est à la fois un jugement de valeur et une réalité objective que nul ne songerait à contester. Nous sommes dans ce cas.
Après, si l'on considère la vaste polysémie du mot de trois lettres incriminé, oui, même Mozart eût pu dire
(si l'on veut bien passer sur l'anachronisme et la trahison de la V.O.) : "Mince, j'suis con, j'ai oublié mes clefs."
Ou "Mince, j'suis con, j'aurais dû déposer cette chanson."
Mais la moindre des choses est de le laisser s'attribuer le qualificatif lui-même :
"Voilà ce que vous m'auriez dit, mon cher, si vous aviez un peu de lettres et d'esprit...
Car je me les sers moi-même avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve".
Dans ce sens, à la limite, on peut comprendre que les deux mondes diamétralement opposés dans lesquels évoluent Yvon Guilcher et Camille ne permettent peut-être pas au premier de saisir que certaines logiques du star système vont à l'encontre du respect de la culture traditionnelle, de sa dignité et de sa beauté pour lesquelles il s'est battu toute sa vie et se bat encore.
Sur le fond du sujet plus précis qui nous occupe, oui, on peut se dire qu'Yvon Guilcher aurait dû mettre sa modestie et son désintéressement dans sa poche et déposer ses compositions. C'est en cela qu'on peut avoir du mal à comprendre, dans ce monde de marchandisation à outrance où l'on va jusqu'à breveter et privatiser les semences, l'eau et bientôt l'air qu'on respire, qu'il demande seulement à ce que son travail ne soit pas occulté et défiguré.
Mais Yvon Guilcher appartient à un monde où les échanges reposent sur la décence commune (cf la notion de "common decency" développée notamment par G. Orwell qui n'a pas écrit que "1984") où l'on est conscient de ce que l'on doit à ceux qui nous ont précédés, et où on les cite, sans se prendre pour un démiurge exhibant avec ostentation son petit univers personnel où l'on frise parfois le culte de la personnalité.
En outre, il ne s'est évidemment jamais caché d'avoir emprunté des éléments de culture traditionnelle pour composer ses chansons qu'il nomme humblement des "pastiches", la dérision en moins et l'amour des sources en plus. Il n'a jamais prétendu avoir composé cette chanson "ex nihilo". Tout le monde lui aurait ri au nez, et lui le premier.
Oui, le refrain de "Je mène les loups" appartient à la tradition berrichonne.
Oui, le thème de l'amant qu'on rejoint au bord de la rivière est omniprésent dans les chansons traditionnelles.
Oui, le thème de la partie B est une réminiscence d'une autre bourrée et fonctionne comme un timbre.
Mais la mélodie A demeure, je crois, de lui, et l'agencement de tous ces éléments de la tradition est sans conteste de lui.
De même qu'un auteur n'invente pas les mots qu'il emploie, leur assemblage est de lui et en fait un texte personnel.
La différence, ici, c'est que les briques sont des unités plus complexes et plus longues que des mots seuls.
Mais Camille en a repris intégralement, à la croche près (si l'on excepte la seule note dissonante qu'elle a ajoutée) les paroles et les mélodies. Ce n'est donc pas un plagiat, qui ajoute quand même un peu d'éléments à un emprunt abusif, mais une reprise pure et simple, à peine "arrangée", si l'on peut qualifier ainsi l'indigent accompagnement de percussions au synthé.
En outre, je pense que ce qui chagrine Yvon, ce n'est pas seulement de n'être pas cité, c'est de voir défigurer les danses pour la beauté et le respect desquelles il s'est battu et se bat avec tant d'énergie, de talent, de savoir et de savoir faire.
Il n'y a pourtant aucune volonté de la part de Camille de les tourner en dérision. Seulement, le seul fait de la présenter comme "bourrée" et non comme "improvisation inspirée de la bourrée" ne peut que bouleverser quelqu'un qui a toujours eu la pudeur de préférer l'humilité de l'apprentissage à l'exhibition d'une spontanéité brute de toute connaissance.