Quand je danse sur une gavotte de l'Aven folk, lente, émouvante et triste, je vais avoir l'impression qu'il y a un lien avec la Bretagne, d'où viennent la plupart des gavottes. Puis j'apprends que le lien avec la gavotte "traditionnelle" de l'Aven est ténu, pour ne pas dire inexistant, mis à part une ressemblance du pas de danse : qu'il s'agisse du mode musical (il me semble), du tempo, de l'énergie de la musique, et de la danse comme élément d'une suite complexe.
Certes ces gavottes de l'Aven (je crois que les bretons n'aiment pas trop le terme pour désigner cette danse !) folk sont jolies et constituent une forme de néotrad sensible et intéressante. Mais peut-on parler d'une évolution d'une musique bretonne ?
Sachant que dans l'Aven, ils aiment bien les airs en majeur pompier au biniou-bombarde, oui ça contraste un peu. Mais c'est juste l'appropriation de cette danse-là par des néotradeux. À ce titre, pourquoi serait-elle moins légitime que la cohorte d'échappés de bagads qui font un copié-collé de Gus Salaun ? Si l'argument c'est de respecter la « vraie » tradition, alors la recopie de style sans recul critique ça vaut pas mieux qu'un déroulé de gamme blues avec modulation au triton et tout le tremblement…
C'est une question qui a été déjà étudiée par Yvon Guilcher (le spécialiste scientifique principal des danses trad). Le jean constitue-t-il une évolution du costume traditionnel en Auvergne ou en Bretagne ? Non. C'est un changement radical, qui n'a pas les même fonctions sociales et qui n'a pas de lien évident avec le passé ou la culture locale. Parler d'évolution dans ce cas est fallacieux : c'est pareil pour la musique.
Continuons le parallèle biologique de l'évolution (même si la « scientisation » des sciences humaines c'est vraiment un poison, mais c'est un autre sujet). Dans la nature tout ne découle pas d'un continuum bien lisse. Des pertes, des coupes, des mutations soudaines, ça existe. Quand le jazz a débarqué dans nos contrées, on a eu affaire à un ajout bien brutal. Et pourtant ça a crée des styles à part entière ce contact brutal (Yves Menez ou probablement aussi les auvergnats de Paris). Alors, ça rejoint les objections déjà soulevées auparavant : on dirait que le problème c'est de se réclamer des musiques traditionnelles. Mais est-ce qu'une fois pour toutes on pourrait arrêter de donner des leçons sur ce qui est trad / pas trad, c'est d'un anachronisme fou puisque la société qui servait de contexte à ces musiques là n'existe plus.
J'ai bien aimé le commentaire précédent de Tiennet sur le terme de néofolk qui serait plus judicieux que néotrad. En effet quel rapport le néotrad entretient-il avec la musique trad ? Ici encore le lien est souvent difficile à trouver... sauf peut-être l'instrument de musique. Et encore !
Bref, le CRITERE me paraît clair. Si j'écoute une musique, elle sera qualifié de trad si elle entretient un lien avec un lieu, une culture, une langue, avec quelque chose de repérable dans l'espace et le temps. Or souvent des musiciens de bal nous font danser sur des morceaux dont nous sommes bien incapables de déterminer l'origine.... voire même de deviner la danse en question (en supposant que nous connaissons bien les danses en question et la culture locale).
Donc j'écoute un morceau. Est-il trad ? Je m'abstrais du lieu où je l'écoute et je me dis : peut-on trouver d'où il vient ?
Ou est-ce seulement de la musique agréable à écouter ou à danser (un peu comme on veut), mais qui n'est pas franchement localisée ?
Je crois qu'il disait plutôt qu'on ferait pas autant chier les neotradeux si y'avait pas le mot trad à intervenir. Après, sur le répertoire que je connais un peu, toute la question du terroir, des racines et cie se confronte toujours à un problème : si tu écoutes les sources tu te rends compte que c'est plus souvent une histoire de styles de personnes, et que le lieu joue peu de rôle là-dedans. C'est évidemment plus complexe que ça, mais ce qui marque un style dans une région c'est plus souvent l'influence d'un grand joueur qu'une qualité intrinsèque liée à la pancarte de la commune. Pour continuer dans le contre-exemple, c'est aussi possible d'aller au plus près de la source et de trouver des porteurs de tradition (quand il en reste encore) qui ne sont pas capables de faire la distinction entre deux danses pour des morceaux trad de chez trad.
Si oui, c'est du néotrad (qu'on devrait donc appeler néofolk, voire musique actuelle... si je persiste !). Utiliser le terme de trad pour des musiques qui n'ont aucune racine me semble douteux. Je me rappelle en Bretagne avoir écouté à un fest-noz un groupe local jouer un endro... à mon avis ça n'avait rien d'un endro. Je suis persuadé que, joué en Alsace ou en Catalogne, tout le monde aurait dit : oh la jolie scottish ! Donc c'est du néotrad, pardon du néofolk, ouaip... de la musique actuelle !
Oui bah, citons le bon vieux voyage de monsieur Dumollet qui pourra, sans modifier une seule note, être interprété par des populations différentes comme un air de quadrille, un air de saut béarnais, une marche du centre-Bretagne, etc. Faudra dire aux néotradeux que la parenté de leur démarche remonte aux opérettes, ils seront, j'en doute pas, flattés.
2-Les débats entre conservateurs et progressistes n'ont aucun sens ici. Quels sont les "des codes qui seraient propres" au musiques trad et que respecteraient les musiciens néotrad ? A ma connaissance, il n'y en aucun. Ou plutôt les derniers qui restent relèvent de la danse et du respect (relatif ! et forcément un peu évolutif) de certains tempos et temps forts.
Mais que constate-t-on ? De plus en plus de musiciens jouent des musiques "a-sexuées" (si je puis dire !!!), a-topiques (sans lieu de référence) pour lesquelles chacun peut reconnaître tout et le contraire de tout, ou trouver ce qu'il a envie de danser. Effectivement, c'est plus cool pour le musico, qui peut faire ce qu'il veut, interpréter à sa manière et délirer autant qu'il lui plaira. Tant mieux pour lui. Tant pis pour les danseurs ! Enfin... comme dit Guilcher dans sa réponse sur Trad Mag, les VRAIS danseurs... pas ceux qui s'éclatent simplement... D'ailleurs ces derniers passeront dans peu de temps à autre chose... On va essayer de définir les vrais danseurs en disant ceux qui ont a peu près assimilé les subtilités de la danse et le plaisir de la différence, et qui s'intéressent (de près ou parfois d'un peu plus loin, selon le degré de maturité de chacun et son vécu) à la culture qu'il y a derrière... si c'est un peu trad !
Passons sur certaines contradictions dans ta démonstration, mais il est où le problème ? Les néotradeux menaceraient la survie d'une musique locale ? Mais comme dit plus haut, faut arrêter, les jeunes qui ont une connaissance approfondie des sources, du style et tout le tintouin, et qui produisent une musique qui correspond aux critères que tu énonces (dans lesquels je me reconnais en partie), y'en a, et c'est même plutôt une tendance montante dans le milieu trad, de ce que j'ai pu voir. Même pire, certains sont des VRP multicartes et ont une activité musicale à la fois dans, mettons, la plus abrupte des formations microtonales en honneur des violonaires de l'Artense et dans un combo trad-fusion recyclant du Hendrix à la vielle à roue. (Je sais pas si ce croisement en particulier existe mais c'est sûr que ce genre de profil existe).
Et d'où l'aboutissement : on veux faire du concert. Là c'est valorisant on fait nos compos (égo + SACEM !).
Sauf que les concerts de musique... c'est pas ce qui manque ! Par contre danser, et des danses variées et qui nous rapprochent avec des lieux et des gens qu'on aime... ça c'est plus dur à trouver !
C'est vraiment curieux, j'aurais dit exactement l'inverse : les lieux de concert où s'exprimer à partir du matériau trad, ça existe peu et c'est une solution pas très viable pour les musiciens. J'ai souvenir d'avoir vu une salle de concert atteindre péniblement les 200 personnes pour une sortie de disque de Katé-mé, alors que ces mêmes musiciens auraient réuni deux ou trois fois plus de monde s'ils produisaient une musique pour le bal.
Et puis, la Sacem, ça profite surtout aux productions « triple A » des majors françaises, pas aux indépendants du milieu trad, faut arrêter les fantasmes.
4-Pour le consensus, n'est-ce pas un peu facile ? Apparemment tu es thésard, donc la polémique scientifique et la critique des savoirs tu dois connaître. Mais le savoir, à l'instant t, c'est bien quand même le fait d'arriver à des connaissances validées (certes provisoirement) sur certains domaines. Et dans ce domaine des musiques trad, je crains d'être un peu catégorique, mais la réalité n'est pas forcément le discours à la mode : vive l'évolution des musiques, vive la transgression des vieux codes... mais ça fait pas des dizaines d'années qu'on entend ça ? Ca a commencé avec Stivell début 70, non ? Enfin si j'en crois ce que j'en ai lu...
Et la réalité sur laquelle nous interpelle Carcasses, n'est-ce pas que des pans entiers de musiques traditionnelles sont en train de disparaître, car n'intéressant plus personne : trop ringard, faut faire de l'évolutif (en fait... autre chose, c'est un prétexte). En réalité, j'ai l'impression que les gens ne s'y intéressent pas, car ils ne connaissent pas. Et c'est tout le problème de cette discussion : comment parler de certaines choses si vous ne voyez pas ce à quoi je pense ? Et parfois pour reprendre le terme de Diatoto, c'est bien d'ethnomusicologie qu'il faudrait parler...
Jy vois pas de la facilité. Je suis pas sûr que ça soit super pertinent d'arriver à un terrain d'entente tout le temps, mais surtout la recherche du consensus peut aussi amener à une solution qui ne satisfait véritablement personne (là encore, c'est un autre sujet).
Pour la perte de pans entiers, pour répéter ce qui a été dit plus haut, j'ai l'impression que y'a un biais de perception, ça intéresse de plus en plus de monde ce côté retour aux racines. Et puis oui, à mon sens, l'évolution c'est une bonne chose. Mais c'est pas caler une anatole sur le thème de Mme Bertrand ou avoir un djembé qui va faire que c'est une évolution, non ? En Irlande, tu as des musiciens comme Donal Lunny qui ont bossé autour des similitudes entre musique trad et pop et qui ont proposé une synthèse de ces musiques. Ça n'empêche pas la musique traditionnelle de continuer…