Excellente question de Lanost qui ne verra peut-être pas ma réponse, car je ne sais pas s'il vient necore souvent par là.
Je remets un lien actif vers le mémoire de Clémence Cognet, pour ceux qui ne l'aurait pas lu et qui développe bien les aspects historiques et idéologiques du collectage, et les figures du collecteur.
http://www.cefedem-a... Clémence_0.pdf
Je souscris complètement aux réponses de CRMTLimousin et Mustradamus.
Je ne considère pas avoir vraiment collecté. J'ai surtout beaucoup utilisé les collectages des autres, particulièrement ceux qu'on trouvait à Dastum Kreiz-Breizh. Le fond Albert Trévidic, dont je tiens à saluer la mémoire et à souligner la qualité du travail, bien qu'il soit moins connu que des gens avec qui il a travaillé comme Polig Monjarret ou Loeiz Roparz. Des collectages issus d'enquêtes réalisées en centre Bretagne à la fin des années 50, d'une excellente qualité sonore et accompagnés de fiches très complètes. Un travail très rigoureux.
https://fr.wikipedia...Albert_Trévidic
Les collectages des années 70 aussi, ceux réalisés par Daniel Lhermine, Pierre Crépillon, Guy Jacob, Erik Marchand, etc..... La qualité sonore n'est pas toujours au rendez-vous, parfois les fiches n'ont pas été complétées, ou à posteriori. Mais ils ont enregistré en quantité. L'évolution de la technique a démocratisé (un peu) le matériel. Les k7 restaient chères et souvent on réenregistrait par dessus, ce qui donne des impromptus, une explosion de bombarde surgissant au milieu d'une gavotte chantée..... Ils ont réalisé des enregistrements au domicile des personnes, et beaucoup d'enregistrements en situation, au fest-noz ou dans les nombreux concours. Ce que dans les années 2000 nous faisions toujours avec Dastum Kreiz Breizh, notamment la Nuit de la Gavotte, le trophée Per Guilloux, etc....
Si je me souviens mon état d'esprit à l'époque, qui je pense était partagé par d'autres, c'est qu'on avait plus rien à collecter en matière de musique. Qu'on s'enregistrait nous. Que de toute façon, la langue bretonne étant en phase terminale, il n'y avait plus grand chose à faire que d'écouter les collectages de nos illustres prédécesseurs. Aujourd'hui, je me dis que j'avais tort.
Parce que nous nous laissons abuser par ce postulat de la tradition. Cet impensé de source originelle. Cette coquetterie de collecteur qui voudrait toujours avoir été le dernier. Le piège de l'exotisme. Le mythe du bon sauvage. Je ne suis pas allé, ou très peu, enregistrer chez des gens. Mais je croisais des gens. On discutait. Ils étaient incarnés, mais du coup moins "mythiques" que ceux que j'écoutais sur les bandes. Même si c'était les mêmes. Je me rappelle d'une matinée avec l'un d'eux, un excellent chanteur, qui ne brillait pas vraiment par la modestie ni par la bienveillance. Forcément quand tu l'as entendu déballoner sur tous ceux avec qui il a chanté, le mec tombe un peu du piédestal sur lequel tu aurais pu le mettre. Mais il te donne deux leçons. La première, c'est la vision qu'il a de sa pratique, qui est différente souvent d'autres personnes que tu as rencontrées, et surtout la plus importante, son humanité, travers compris. En y repensant, il n'est pas foncièrement différent de toi. Alors oui, il est beaucoup plus vieux que toi, donc forcément il a vécu des choses que tu n'as pas vécu. Mais il est aussi ton contemporain. Ce sont des pratiques en mouvement.
Tu demandes aussi quoi enregistrer. Je me rappelle qu'à l'époque où je fréquentais Dastum, un ami travaillait pour la MPO à Anost. Ils continuaient à aller enregistrer des gens. Je me disais, il n'y a plus rien à collecter, il me disait qu'ils enregistraient surtout des récits de vie et des vieux tubes musettes. Mais quand je vais les écouter aujourd'hui sur le site, je me dis que c'est eux qui avaient raison. Bien des danses emblématiques considérées comme "traditionnelles" ne sont pas si anciennes. Ce qui est fou, c'est qu'on a beau le savoir, admettre que oui, les sociétés paysannes recevaient des influences extérieures, adoptaient des danses de la bourgeoisie, les assimilaient (on pourrait parler des noirs antillais s'appropriant les danses de salon de leurs maîtres, et en faire autre chose), on arrive pas complètement à se défaire du mythe né au XIXe siècle de la danse remontant aux tréfonds des âges. Les collectages sont un vaccin à ça.
Dernière chose, je m'insurge contre les gardiens du temple. J'ai aussi longtemps critiqué les groupes folkloriques. Mais, si tu étudies un peu le parcours de certains musiciens et chanteurs considérés comme de "tradition", tu te rends compte qu'ils ont fréquenté des groupes folkloriques. Les danseurs qui ont été collecté par Rémi Guillaumeau et Raphaël Thiery, ont pour beaucoup fréquenté des groupes folkloriques. Mais sociologiquement ils sont plus proches des gens que certains bourgeois ayant autorité dans le trad estiment être les danseurs de tradition (et qui sont souvent les parents des premiers), que ces donneurs de leçon patentés qu'il faut remettre d'urgence à leur place, parce qu'ils ont tellement envie d'être archéologues. Suivez mon regard.