l'interprétation - qui me parait discutable - de la critique de Vian par Vl.
Vi semble en effet convoquer Vian à mauvais escient et c'est pour cela que je n'ai pas réagi tout de suite. Les deux citations, forcément tirées de leurs contextes, me semblent fustiger le conformisme des seuls compositeurs (ou des critiques).
Forcément tirées de leur contexte ?! Voici le texte
in extenso :
--- début du texte de Vian
* Le sergent J. B. P. m'a écrit une lettre adressée
à Jazz Hot tout entier (ou entière ? est-ce un maga
zine ou une revue? A vous, Dauzat). Le sergent J. B. P. aurait pu signer sa lettre, je trouve. Voilà une partie de ce qu'il a dit, le sergent. « Vous êtes bop. Bon. Ça va, on le sait. Mais alors au moins soyez respectueux, foutez-nous la paix. Personnellement, je suis un amateur acharné et connaisseur de jazz. Pourquoi vous le cacher (sic) ? Je suis anti-bop. Mais alors à fond pour le New Orleans. Vous vous demandez certainement où je veux en venir ? Tout simplement à ceci. Si vous dites que le New Orleans est « vieux machin, vieux style, vieux jeu »... Bon, eh bien alors jouez franc jeu. Laissez-nous.
Arrêtons-nous déjà ici. Au passage, admirons la modestie du sergent. « Personnellement je suis un amateur acharné et connaisseur de jazz ! » Faisons respectueusement remarquer au sergent que s'il est anti-bop, il a tort de se dire connaisseur de jazz. Car les connaisseurs savent que ce mot de « bop » n'a aucun sens et n'a été utilisé qu'à des fins journalistiques. Il y a le jazz tout court ; et s'il est amateur acharné, le sergent devrait s'abstenir de l'enterrer comme ça, le jazz. Incidemment, qu'est-ce qu'un connaisseur ? Savez-vous, sergent, que la moyenne des gens qui « rédactent » Jazz Hot ont un minimum de quinze ans de familiarité avec cette musique?
Soyez bop ou N. 0., mais pas les deux à la fois, dit un peu plus loin le sergent. On ne peut concevoir ces deux extrêmes, à moins d'être complètement cinglé...
Mais, sergent, permettez-moi de vous dire respectueusement que vous nous cassez les roubi-gnoles. Et pourquoi n'aimerions-nous pas les deux à la fois ? J'adore écouter les vieux enregistrements de Jelly Roll, et j'adore Ellington dans Tattoed Bride, et j'adore Gillespie et Parker. De quel droit voulez-vous me limiter, bougre d'emmerdeur? Et j'adore Ravel aussi, si ça vous intéresse. Et Albinoni, l’Adagio, c'est aussi bon que la Black and Tan. Quant à Wozzeck, ça m'émeut autant que Echoes of Harlem, et tant pis pour vous si vous avez les feuilles un peu réduites.
Voulez-vous que je vous dise, mon sergent aimé. Vous nous accusez d'être méchants, hargneux par-dessus le marché. Mais vous, sergent, vous êtes gentil, peut-être ? Vous faites semblant de ne pas comprendre. Nous, on ne s'en cache pas, quand on voit un ou plusieurs types reproduire ce qu'un ou plusieurs autres ont fait, bien mieux qu'eux, voici vingt ans, ça ne nous intéresse pas. Un écrivain qui écrirait de nos jours comme Balzac, n'aurait non plus le moindre intérêt. C'est un faussaire. C'est pourquoi nous sommes, à votre grand étonnement, les premiers à louer Louis quand il sort un bon disque, Louis a le droit de jouer dans ce style : c'est lui qui l'a fabriqué. Mais tous les jeunes soi-disant « Nouvelle-Orléans » qui vous enchantent sont de pitoyables attardés. Je vais vous dire quelque chose, sergent; je connais personnellement des musiciens de chez Luter, de chez Reweliotty, qui adorent les Bud Powell, Parker, Dizzy, bref tous ceux que vous nommez bop et qui sont, surtout, des musiciens dignes de ce nom. Ces musiciens qui persévèrent dans le style N. O. que ses créateurs illustrèrent si bien ne le font que parce que ça se vend, grâce à de bonnes andouilles comme le sergent J. B. P. qui sont un peu demeurés et dont l'horizon musical est si limité qu'il ne dépasse pas celui du public de Chemisier Rose et Pompier blanc. (Entre parenthèses, une chanson populaire charmante.)
De bonnes pommes comme le sergent J. B. P. qui achètent leur peinture au Bazar de l'Hôtel de Ville, leurs musiciens originaux chez Plumeau et leur sens critique chez Mezzrow. Vous ne lisez pas Daniel-Rops ou Max du Veuzit, sergent? Z'avez tort. Ça vous plairait. Quand à l'exemple que nous sommes pour les jeunes ! Mon sergent chéri, quel âge croyez-vous que nous ayons ? Soixante, soixante-dix ? Et la prochaine fois, signez votre lettre, on sera encore plus gentils avec vous.
Avril 1953
Boris Vian “Chroniques de jazz” 1967
ISBN 2-264-00877-6
-- fin du texte de Vian
Alors ? Certains passages de la critique du disque "La Marque Rouge" persistent à me rappeler cet épisode des chroniques de Vian.
Evidemment que la critique de Vian, si elle devait être étendue à tous les interprètes, de jazz, de trad, de baroque, de classique, ... devient grotesque.
Quant à la vision du compositeur par Vian, qui devrait obligatoirement cracher sur la tombe des autres pour trouver sa place, cela fait un peu Saint-Germain-des-Prés et culture d'élite. Il y a en fait de la place pour tous. En tant que danseur, je suis plus attaché à l'aspect fonctionnel d'une musique d'où qu'elle vienne, qu'à des concepts ou une idéologie.
Brr. No comment.
PS : Merci Tof, c'est bien ce bouquin que j'avais en main. Au fait Tiennet loin de moi l'idée de critiquer Vian !