Voilà; mais je désespère maintenant de me faire comprendre ici.
Mon cher Philippe...
Je pense que tout le monde a compris que ce qui te pose problème, c'est la représentativité du courant trad sensus stricto (= revivalisme ayant pour objet les musiques ancrées dans un terroir) au sein de la grande famille "trad" d'aujourd'hui. J'ai essayé de te le dire : ta vision est biaisée. Comme le signale Alinwond, le fait que tu ne connaisses pratiquement aucun des musiciens que je mentionne dans ma précédente intervention montre que tu ne fréquentes qu'une partie de cette grande famille trad et que tu ignores l'existence et le travail de certaines jeunes personnalités fortes et importantes du trad français aujourd'hui. Ce n'est pas un blâme ou un reproche ! Mais force est de constater que tu ne sembles pas avoir toutes les cartes en main, en tout cas pas autant de cartes que certains tradzonards.
Puisque ton pessimisme ne semble pas dissipé, je me permets d'évoquer 2 constats que tout le monde a pu faire ces dernières années et qui donnent toutes les raisons d'être optimiste sur l'avenir d'une approche des musiques traditionnelles attentive aux sources, aux styles, aux terroirs (qui n'est pas une approche préférable à une autre, ça fait au moins la 427e fois que je l'écris sur ce forum).
1. La re-création de l'immersion et de l'imprégnation
Inutile de rappeler sur ce forum le rôle fondamental que joue l’imprégnation dans les sociétés traditionnelles dans la transmission des musiques et des danses populaires, Yvon Guilcher notamment a largement expliqué cela dans son bouquin. Ce qui est nouveau depuis une dizaine d’années, et ce dont Guilcher ne parle absolument pas (et pour cause, son bouquin datant de 1998), c’est l’apparition d’une forme d’imprégnation dans nos sociétés urbaines, au sein des familles de folkeux.
On le sait, les folkeux des années 70 se sont dirigés vers les musiques traditionnelles par choix et relativement tardivement : ils étaient de jeunes adultes pour la plupart. Et par chance, ces folkeux ont eu la bonne idée de se reproduire : ils ont eu des gosses. Oui mais voilà : grandir en écoutant Malicorne, Le Grand-Rouge, Planxty, Café-Charbons, Perlinpinpin Folc ou Barzaz (barrer les mentions inutiles…), ça laisse des traces. On voit bien chez certains enfants de folkeux, même très jeunes, que leurs connaissances de la musique traditionnelle proviennent notamment d’une certaine forme d’immersion dans cette musique. Alors oui, ce n’est pas l’immersion ou l’imprégnation telle qu’elle peut encore exister en Bolivie, mais c’est une immersion quand même, qui a un impact fort sur la compréhension de cette musique, sur son accent, son style, sa cadence, ses subtilités… même chose pour la danse. Parmi les jeunes musiciens que j’ai cités plus haut, plusieurs sont dans ce cas de figure : ils ont grandi avec de la musique traditionnelle dans les oreilles et parfois de la danse traditionnelle dans les jambes. Résultat : lentement mais sûrement, le niveau monte. Et ces jeunes musiciens commencent déjà à se reproduire eux aussi… Il y a fort à parier que les petits-enfants de folkeux nous surprennent d’ici quelques années !
2. L'accès aux sources facilité
L’autre constat que tout le monde peut faire, c’est qu’il est plus facile d’apprendre une musique traditionnelle française en 2013 qu’en 1973. L’une des raisons, c’est que l’accès aux sources est plus aisé qu’aux débuts du revivalisme. On l’oublie parfois, mais j’en discutais encore l’autre jour avec crmtlimousin par mail : les folkeux des années 70 sont partis de très très loin. Si on s’intéresse à un univers que je connais plutôt bien, celui de la cabrette, Bouscatel et Bergheaud ont été « découverts » par les folkeux à la fin des années 70 seulement. Les cabrettaïres de cette génération racontent avec émotion comment des 78 tours de Bouscatel inédits avaient été copiés sur cassettes, et que ces cassettes passaient sous le manteau comme si on faisait du traffic de drogue. La rareté de ces enregistrements les rendaient précieux. Et que dire de ceux qui avaient trouvé le moyen de ralentir les cassettes pour entendre tous les coups de doigts de Bouscatel… Et aujourd’hui ? Il n’y a jamais autant eu d’enregistrements disponibles. Que ce soit des rééditions d’enregistrements historiques (cylindres de cire, 78 tours) ou de collectages, les enregistrements numérisés sont accessibles à ceux qui s’y intéressent. On peut ralentir en 2 clics du Bouscatel, sans changer la hauteur (le luxe !). C’est comme si Bouscatel nous donnait un cours particulier ! (l’avantage, c’est qu’on peut le faire répéter autant de fois qu’on veut le passage compliqué auquel on ne comprend rien ; le désavantage, c’est qu’il ne nous offre pas le bout de Cantal à la fin du cours…) Même s’il reste des choses à rééditer, et surtout un gros boulot de valorisation de ce patrimoine enregistré avec des analyses ethnomusicologiques de qualité qui restent à écrire (c’est bien beau de se moquer des musiciens du forum qui s’improvisent ethnomusicologues, mais à qui la faute si les universitaires français s’intéressent en priorité aux musiques traditionnelles de Bolivie ou de Papouasie alors que le patrimoine enregistré des musiques traditionnelles françaises est si riche ?), on ne peut que se féliciter de l’accès facile à autant de documents sonores numérisés. Les enfants de folkeux s’en donnent à cœur joie, en tout cas.
@ - Y - : j'ai envie de t'embrasser.
Edited by Tiennet, 03 Dec 2013 - 11:13.